Démystifier les inoculants pour ensilage

Nathalie GENTESSE, M.Sc., agr.,

De l’ensilage, c’est de l’herbe conservée, littéralement mise en conserve ! Si elle n’est pas bien conservée, on obtient plutôt un tas d’herbe qui pourrit lentement. La mauvaise conservation mène à une diminution de la digestibilité du fourrage parce que les fractions les plus digestibles sont détruites les premières. Cela mène aussi à une baisse de la qualité et de la quantité de protéine, celle-ci étant convertie en ammoniaque. Une baisse de consommation des animaux entraînera une baisse de production. La perte de valeur alimentaire ainsi subie augmentera facilement les besoins en concentrés de 2 à 3 kg, afin d’essayer de maintenir la production de lait.

Du sucre mais pas d’air

Les deux principales conditions pour que le procédé d’ensilage fonctionne bien sont : la présence de sucres fermentescibles et l’absence d’air. Un niveau minimum de 2,5 à 3% de sucres solubles est nécessaire pour démarrer la fermentation. Ce sont les bactéries lactiques, provenant de la plante ou de l’inoculant, qui transformeront ces sucres en acide lactique. L’acide lactique permet d’abaisser rapidement le pH de la masse afin d’éviter la croissance de populations bactériennes indésirables. Cette réaction ne se produit qu’en absence d’air. Le remplissage rapide de la structure d’entreposage minimise la respiration des plantes qui brûle des sucres. La compaction et le fait de sceller le silo assure le retrait rapide de l’air.

Le taux de matière sèche des plantes récoltées est également important. Un ensilage trop humide a plus de difficulté à fermenter. Les fortes applications d’azote (> 25 kg/ha) ou un épandage tardif de fumier rendent difficile la fermentation. Finalement, toute contamination avec du purin, de l’argile ou de la chaux empêche le bon départ de la fermentation.

Les deux catégories de bactéries des inoculants


C’est au niveau des propriétés des acides produits par les bactéries que se définissent le rôle et l’efficacité de chaque inoculant.

Homofermentaires: Ces bactéries de type lactique fermentent les sucres en acide lactique seulement

Hétérofermentaires: Ces bactéries, dont L. buchneri fait partie, fermentent les sucres en acide lactique mais produisent également de l’acide acétique, de l’éthanol et du CO2. Ces bactéries sont capables d’utiliser l’acide lactique pour produire de l’acide acétique.

1-Acide lactique : c’est un acide fort qui permet une chute drastique et rapide du pH. De par cet environnement acide, la croissance de plusieurs mauvaises bactéries est inhibée réduisant d’autant la destruction de la protéine dans l’ensilage. Comme il n’y a pas de gaz carbonique (CO2) produit, plus de matière sèche originale est sauvegardée. Les bactéries ruminales peuvent utiliser l’acide lactique comme source d’énergie. L’acide lactique est toutefois un faible inhibiteur des moisissures et de levures.

2-Acide acétique : c’est un acide faible ce qui entraîne un pH plus élevé dans l’ensilage. à cause de la production de CO2, il y a moins de matière sèche récupérée. Les bactéries ruminales ne peuvent utiliser l’acide acétique parce que c’est déjà un produit de la fermentation ruminale. L’acide acétique est un inhibiteur de moisissures et levures puissant.

3-Éthanol : Il peut être fermenté dans le rumen ou absorbé directement par les parois ruminales. Des doses élevées sont néfastes pour le foie des vaches.

Propriétés des acides et sous-produits de fermentation


Sous-produitPouvoir acidifiantPouvoir antifongiqueAc. acétique++++Ac. lactique++++Ac. butyrique++++Ac. propionique++++

 

A) Les homofermentaires (lactique)

- Ce sont les inoculants qui ont fait l’objet du plus de recherche.

- Elles diminuent le pH de l’ensilage dans 60% des 230 recherches, avec une baisse de 0,2 à 0,3 unité de pH en moyenne.

- Le plus souvent, elles sont efficaces dans l’ensilage de luzernes et de graminées.

- Dans l’ensilage de maïs, elles diminuent le pH dans 40% des cas (parce qu’il y a déjà une bonne fermentation d’instaurée).

- Dans l’ensilage de céréales, elles diminuent le pH dans seulement 30% des cas.

- Ces bactéries ont une croissance rapide et dominent la fermentation.

Récupération de la matière sèche :

Amélioration dans 38% des études, en moyenne de 6% (Ex : si récupère 75% sans inoculant, augmente à 81% avec). On peut s’attendre à 2-3% en conditions commerciales.

 

Performances animales

Augmentation du gain de poids et de la production laitière dans 50% des études.

Quand la réponse est positive, le gain augmente de 5% et le lait de 3%.

Augmentation de la consommation de matière sèche dans seulement 20% des cas. Effet dû à la digestion du fourrage plus qu’à la consommation de matière sèche.

 

Stabilité aérobique

La stabilité en présence d’air est amélioré dans 30% des études, la plupart dans l’ensilage de foin. Comme les inoculants lactiques permettent de réduire le pH substantiellement, la croissance des levures est réduite, ce qui améliore légèrement la stabilité. La diminution de pH est alors le plus important facteur pour contrôler la croissance des levures, plutôt que le passage à une production d’acide lactique (faible inhibiteur).

La stabilité en présence d’air est réduite dans 30% des études, la plupart dans l’ensilage de maïs ou de céréales. Comme les inoculants lactiques ne diminuent pas toujours le pH mais augmentent la production d’acide lactique au détriment de l’acide acétique (fort inhibiteur), l’effet sur la stabilité est souvent négatif.

 

Raison potentielle d’un manque d’efficacité

Le pH acide est peut-être atteint plus vite mais il n’y a pas de différence quand on ouvre le silo.

Mauvais inoculant, nombre de bactéries inapproprié.

L’inoculant a été mal manipulé ou conservé.

L’inoculant a été mal appliqué.

Il est difficile d’améliorer une fermentation déjà efficace dont le pH est déjà acide comme l’ensilage de maïs ou de céréales.

S’il manque de sucres dans la luzerne, les bactéries ne produisent pas d’acide lactique.

Facteurs qui augmentent les chances de succès

 

Lorsque les populations naturelles de bactéries sur le fourrage sont le plus faibles dû aux conditions suivantes :

Court temps de séchage

Températures fraîches

Fourrage plus humide

Avec quels types de fourrages faut-il utiliser les bactéries lactiques homofermentaires ?

- Faibles en matière sèche (<35% ms)

- Faibles en sucres fermentescibles

- Avec un fort pouvoir tampon

 

B) Les hétérofermentaires (L. buchneri)

- Ces inoculants réduisent la production d’acide lactique et augmentent celle d’acide acétique.

- Ils augmentent le pH de l’ensilage.

- Ils réduisent la quantité de levures qui provoquent l’échauffement de l’ensilage.

- La production de CO2 par ces inoculants entraîne une perte d’environ 1% de matière sèche.

- Ces inoculants ont peu d’effet sur la consommation et la production des animaux.

- Les bactéries hétérofermentaires ont une croissance lente. Ce sont les bactéries lactiques naturelles de l’ensilage qui font la première étape de la fermentation. Par exemple, L. Buchneri peut survivre dans des conditions qui inhiberaient les autres bactéries lactiques.

- Après la fermentation active, L. buchneri convertit lentement l’acide lactique en acide acétique. Cela prend 45-60 jours avant d’être efficace du point de vue de la stabilité aérobique.

 

Quand utiliser L. buchneri?

- Avec les fourrages de plus de 35% de matière sèche

- Avec le maïs ensilage ou l’ensilage de céréales

 

C) Les combinaisons homofermentaires et hétérofermentaires

Les homofermentaires augmentent la récupération de la matière sèche et la productivité des animaux tandis que L. buchneri augmente la stabilité aérobique à la reprise. Une souche de L. buchneri produit des enzymes estérases pour l’acide férulique qui aide à briser les liens entre la lignine et les autres hydrates de carbone de la paroi des plantes, ce qui augmenterait la digestibilité du NDF jusqu’à 7 %.

 

Choix des inoculants pour les cas particuliers

 

1-Pour éviter la fermentation clostridienne (butyrique)

a.Chez la luzerne qui a attrapé de la pluie pendant le séchage ou ensilée trop humide. L’ajout d’inoculant est efficace pour les pluies légères et pour quelques pourcentages de matière sèche qui manquent mais ne règlera pas le problème d’un ensilage fait dans les plus mauvaises conditions. Il va seulement retarder le moment où l’ensilage deviendra butyrique. Il est déconseillé de mélanger l’ensilage clostridien avec le reste de l’ensilage, il vaut mieux faire un bag ou une meule séparée. Cet ensilage doit être servi rapidement parce que la concentration d’acide butyrique augmente avec le temps.

b.Objectif : baisser le pH rapidement

c.Utiliser un inoculant homofermentaire (lactique).

d.Éviter L. buchneri parce qu’il va empirer la situation.

 

2-Améliorer la stabilité aérobique

a.Il s’agit d’un problème plus courant dans l’ensilage de maïs que dans l’ensilage de luzerne. Si la luzerne chauffe, le problème provient souvent de la régie de compaction, du scellage du silo ou de la méthode de reprise.

b.La luzerne ensilée avec plus de 45% MS est plus sensible à développer les levures. À la récolte, il faut mettre plus d’efforts sur la compaction, et l’utiliser en période froide.

c.Si l’ensilage contient plus de 55-60% MS: utiliser une combinaison de bactéries homofermentaires (lactique) et hétérofermentaires (L. buchneri).

d.Utiliser un inoculant homofermentaire (lactique) avec la luzerne et les graminées.

e.Utiliser L. buchneri avec l’ensilage de maïs.

 

3-Faire mieux performer un bon ensilage

a.Les inoculants homofermentaires sont les meilleurs pour la luzerne.

 

Comment choisir et utiliser les inoculants ?

- Minimum 100 000cfu/g de récolte.

- Garder au froid.

- Ne pas utiliser avec de l’eau chlorée à plus de 1 ppm. Sinon, utiliser un inoculant qui contient un réactif qui neutralise le chlore.

- La température doit être sous les 100 degrés F. Attention aux réservoirs foncés qui augmentent la température de la solution.

Appliquer les bactéries lactiques à la fourragère ou au souffleur pour un meilleur mélange.

- Pour les ensilages plus secs (> 40% MS), un inoculant liquide commencera à travailler plus rapidement que la forme granulaire.

En résumé, les inoculants de type lactique sont très efficaces pour conserver la valeur nutritive du fourrage le plus proche possible de la composition de l’herbe du champ. Ce sont les mélanges contenant de la luzerne qui en bénéficieront le plus. Les inoculant à base de L. buchneri sont utilisé principalement dans l’ensilage de maïs dans l’intérêt principal de conserver la stabilité en présence d’air à la reprise.

 


Adapté de R. Muck, USDA, Cornell Nutrition conference 2008, p.137