Semis direct ou rénovation de prairie, prenez garde à l'autotoxicité de la luzerne!
Guy FORAND, M.Sc., agr.,De plus en plus de producteurs laitiers s’intéressent au semis direct des plantes fourragères ou à la rénovation des luzernières. Ces techniques de semis sont particulièrement attirantes pour les sols rocheux et les terrains à fortes pentes
Imaginez ! Plus de ramassage de roches au printemps et de semences entrainées avec les eaux de ruissèlement. Mais qu’en est-il de l’autotoxicité de la luzerne? Pour les semis effectués sur des retours autres que de la luzerne, il n’y a aucun problème. Mais pour les semis directs sur précédent de luzerne ou pour les rénovations de luzernière, il faut faire très attention. De nombreuses études le confirment, il y a danger pour les plantules et pour leur développement ultérieur (tableau 1).
Tableau 1. Sommaire des expériences traitant de l’autotoxicité de la luzerne. Les résultats indiquent que les rendements et la densité des peuplements peuvent être réduits si l’on effectue des semis de luzerne sur des retours de luzerne récemment détruits (Volenec et Johnson, Université Purdue).
Qu’est-ce que l’autotoxicité de la luzerne ?
L’autotoxicité de la luzerne est un processus par lequel un plant adulte de luzerne (mort ou vivant) produit des substances chimiques qui affectent la germination, le développement des plantules et le système racinaire des luzernes, semées à proximité (allélopathie négative). Les plants matures de luzerne peuvent produire plusieurs agents chimiques toxiques comme, entre autres, le médicarpin.
Suite à la destruction d’une luzernière, que ce soit par le labour, par l’arrosage au glyphosate ou par le gel hivernal, des composés toxiques sont relâchés dans le sol. Leur durée active et leurs effets sur les plantules de luzerne dépendent du type de sol et du climat (température et précipitations). En sol sableux, les toxines sont plus actives, mais durent moins longtemps à cause du lessivage. Les saisons pluvieuses lessivent plus de toxines que les saisons sèches. En sol argileux, les toxines sont retenues plus fortement sur les particules de sol et leurs effets sont moins prononcés, mais durent plus longtemps. En conditions chaudes et humides, la dégradation des toxines par les microbes du sol est plus rapide qu’en conditions froides et sèches (Cosgrove et Undersander).
Dans leur étude, Asbil et Coulman (1992) établissent que 5 à 8 % des semences de luzerne implantées sur des retours de luzerne produisent des plantules viables. Si on sème de la luzerne sur des champs de luzerne mature, qu’ils aient été détruits par le labour ou par le glyphosate en semis direct, la germination et la vigueur des plantules seront diminuées (figure1) (Jennings et Nelson, 2002). L’autotoxicité crée également des dommages irréversibles aux racines pivotantes. Le plant compense alors la perte de sa racine principale en produisant des racines latérales secondaires (figure 2) (Jennings et Nelson, 2002). Cette modification permanente du système racinaire diminue l’assimilation de l’eau et des éléments nutritifs.
Figure 1. Parcelles semées 2 semaines (à gauche) et 18 mois (à droite) après le labour d’une luzerne déjà établie. (Photo, Dr Jennings, Université de l’Arkansas).
Figure 2. Systèmes racinaires des plants de luzerne, 2 semaines et 18 mois après un labour. (Photo, Dr Jennings, Université de l’Arkansas).
Pouvons-nous rénover une luzernière clairsemée avec de la luzerne ou effectuer un semis direct de luzerne sur un retour de luzerne ?
À moins de 20 cm (8 pouces) d’un plant de luzerne, la plupart des plantules meurent. Entre 20 et 40 cm (8 à 16 pouces), les plantules survivent, mais produisent des plants chétifs avec des systèmes racinaires amoindris. Il est donc très risqué de rénover une luzernière, même si celle-ci possède une densité de population de moins de 2 plants/pi2) (figures 3 et 4) (Jennings et Nelson, 2002).
Figure 3. Les plantules de luzerne à une distance d’environ 40 cm d’un plant mature de luzerne(drapeau jaune) affichent un développement restreint, démontrant ainsi les effets causés par l’autotoxicité de la luzerne. Au-delà de 40 cm, leur développement est comparable au plant du centre. Photo, Dr Jennings, Université de l’Arkansas).
Figure 4. Zone d’influence d’un plant mature de luzerne. Adapté de Jennings, Uversité de l’Arkansas.
Le travail de sol influence aussi les niveaux de toxines. Un travail primaire plus agressif comme le labour, dilue les toxines en les mélangeant à un plus grand volume de sol. Cosgrove et Undersander établissent les pertes de rendement à 30% pour un travail de sol conventionnel (labour) et à 40% pour une régie de semis direct (figure 5).
Figure 5. Rendement relatif de la luzerne en fonction de la régie de travail de sol en situation d’autotoxicité.
Comme on peut le constater, l’autotoxicité de la luzerne n’est pas une vue de l’esprit. Il faut y prendre garde aussi bien pour les semis direct ou conventionnel que pour la rénovation des luzernières affectées par l’hiver. Voici donc une série de recommandations prenant en compte les résultats de recherche et les documents techniques utilisés pour la rédaction de cet article.
Références
Asbil W et Coulman BE (1992). Improving alfalfa stands with early-spring broadcast seeding. J. Prod. Agric. 5: 57-63
Cosgrove D et Undersander D. Seeding Alfalfa Fields Back Into Alfalfa. Focus on Forage. Wisconsin TEAM Forage.
http://www.uwex.edu/ces/crops/uwforage/AlfalfaTox-FOF.htm
Hegde RS et Miller DA (1992). Concentration dependency and stage of crop growth in alfalfa autotoxicity. Agron. J. 84: 940-946
Jennings JA et Nelson CJ (2002). Rotational interval and pesticide effects on establishment of alfalfa after alfalfa. Agr. J. 94: 786-791
Tesar MB (1993). Delayed seeding of alfalfa avoids autotoxicity after plowing or glyphosate treatment of established stands. Agro. J. 85: 256-263.
Volenec J et Johnson K. Managing alfalfa autotoxicity. Agronomy Guide No AY-324-W. Purdue University Cooperative Extension Service.
http://www.extension.purdue.edu/extmedia/AY/AY-324-W.pdf